Baisser le taux d’alcool autorisé à 0,2 gramme par litre pour la conduite de tous les véhicules ?

Rédaction : juin 2017

L'abaissement du taux d'alcool autorisé est une question récurrente parmi les mesures susceptibles de réduire l'accidentalité routière. Elle fait  d'autant plus sens dans la continuité de la décision prise le 24 juin 2015 appliquant un taux réduit à 0,2 gramme par litre aux conducteurs novices. Ce  taux valait déjà pour tous les conducteurs de transport en commun depuis le 25 Octobre 2004. Pour les autres conducteurs, le décret du 29 août 1995 avait fixé ce taux,  sanctionné d'une contravention, à 0,5 gramme par litre, le taux délictuel étant fixé  à 0,8 gramme par litre depuis la loi du 8 décembre 1983.

Pour autant, il existe des résistances à généraliser la mesure à l'ensemble des conducteurs. Cette résistance n'est pas étonnante lorsqu'elle provient du monde de l'alcool comme Vin & société. Ce regroupement d'acteurs de la vigne et du vin s'est évertué à plusieurs reprises à amoindrir la loi Evin du 10 juillet 1991 relative à la lutte contre l'alcool et le tabagisme. Elle est plus difficilement compréhensible de la part d'associations luttant contre l'insécurité routière. Ces associations n'ont à vrai dire  aucune raison de s'afficher contre une réduction du taux d'alcool légal. Il est plus habituel de les voir s'opposer à des mesures plus laxistes que le code de la route, ce que serait le relèvement de ce taux à 0,8 gramme par litre. De surcroît, cette opposition n'est pas cohérente avec l'objectif « Vision zéro accident » porté récemment par l'ESTC (European Transport Safety council), ONG dédiée à la réduction de l'accidentalité et exerçant un lobbying intense à Bruxelles.

La première réglementation imposant un taux légal date du 9 juillet 1970. Le slogan qui l'a accompagné n'est pas contesté. Il est encore bien connu des conducteurs : « boire ou conduire, il faut choisir ». Tous les travaux de recherche démontrent la pertinence de ce slogan. Ils convergent pour démontrer l'impact négatif de l'alcool sur les capacités de conduite. La présence d'alcool dans le sang affecte la maîtrise du véhicule, la répartition de l'attention, la perception et le traitement de l'information, la perception des risques et le respect des règles.  L'INPES (Institut National de Prévention et d'Education pour la Santé) et l'ANPAA (Association National de Prévention en Alcoologie et en Addictologie) s'accordent pour constater que, même à de faibles doses, inférieures à 0,5 gramme par litre,  l'alcool désinhibe, diminue la vigilance et entraîne une perte du contrôle de soi, ce qui peut amener à des situations dangereuses.

La littérature cite en référence l'étude classique de Borkenstein et al. (1974) qui, la première, a révélé le lien direct  entre la concentration d'alcool dans le sang et le risque d'accident.

« On sait, depuis lors, que le risque d'accident dû à l'alcool peut être 100 fois plus élevé que pour un  conducteur sobre (Compton, 2002; Peck et al., 2009). Ceci est encore plus vrai pour  les accidents mortels. Le graphique ci-dessous montre que, pour un conducteur, le  risque de décéder dans un accident augmente déjà à partir d'une faible concentration d'alcool dans le sang.
Ce graphique, issu d'une étude de Nouvelle Zélande (Keall et  al., 2004), indique le risque relatif, c'est-à-dire dans quelle mesure le risque de décès  pour un conducteur ayant un certain taux d'alcool est plus élevé que pour un conducteur sobre. Elle révèle que le risque de décéder dans  un accident commence déjà à augmenter en deçà de la limite légale actuelle. A 0,2 gramme par litre, le risque est plus de deux fois plus élevé que pour un conducteur sobre. La courbe est estimée pour l'ensemble de la population »
(extrait du rapport de l'Institut belge de la sécurité routière - Abaissement du taux d'alcool autorisé pour les conducteurs novices et les conducteurs de grand véhicule : 0,2 gr/l - 2010).

L'étude SAM (Stupéfiants et accidents mortels de la circulation routière - OFDT/CEESAR - Septembre 2005) confirme ce constat. Leurs auteurs ont estimé le sur-risque d'être responsable d'un accident mortel (résultat ci-dessous). Ils ont calculé que les conducteurs sous l'influence de l'alcool (tous taux confondus) ont 8,5 fois plus de risque d'être responsables d'un accident mortel que les conducteurs qui ne sont pas sous influence ni de l'alcool, ni du cannabis. Les conducteurs ayant un taux d'alcool positif mais inférieur à 0,5 ont 2,7 fois plus de risque d'être responsables d'un accident mortel que les conducteurs qui ne sont pas sous influence ni de l'alcool, ni du cannabis. Il est à noter que ce risque est supérieur à celui pour un conducteur sous l'emprise du cannabis. Dans la même étude, ce risque est supérieur à celui d'un conducteur sous l'emprise du cannabis.  Il est évalué à 1,8 fois. La présence d'un test positif  au cannabis, elle, est sévèrement sanctionnée.
De surcroît, les effets d'autres facteurs diminuant la capacité de conduite du conducteur peuvent se cumuler avec l'alcool. Ce cumul a également été mis en évidence par l'étude SAM. Ainsi, « le risque d'être responsable d'un accident mortel chez les conducteurs à la fois positifs au cannabis et à l'alcool est estimé à 14,0 fois soit très proche du produit des risques attachés au cannabis seul (1,8 fois) d'une part et à l'alcool seul d'autre part (8,5 fois) ».

Sans avoir été mesuré avec d'autres facteurs de risque, ce cumul se retrouve probablement avec la prise de médicament, le déficit de sommeil, la distraction au volant, .... Même chez les conducteurs ayant un taux d'alcool positif mais inférieur à 0,5,  ces facteurs additionnels peuvent conduire à un risque équivalent à un conducteur ayant  un taux supérieur à 0,5 gramme par litre.

Si, de surcroît, on considère qu'un conducteur professionnel ne devrait pas conduire lorsqu'il a 0,2 a fortiori un non professionnel devrait être soumis à la même règle puisqu'il se met en danger lui personnellement mais aussi les autres usagers de la route.

La même étude SAM estime la part attribuable à l'alcool dans les accidents mortels à 28,6% dont 25,2% pour un taux supérieur à 0,5. La part attribuable à un taux inférieur serait donc de 3,4% correspondant pour l'année 2015 à 120 personnes tuées en France métropolitaine sans oublier un nombre de blessés graves de XX.

Cet enjeu est probablement sous-estimé dans la mesure où 18% des accidents mortels ont une alcoolémie inconnue parmi les conducteurs impliqués. Ce pourcentage correspondant à 568 accidents mortels en 2015  et concerne essentiellement des taux inférieurs à 0,5, les Forces de l'Ordre ne donnant pas toujours l'indication du taux si celui est inférieur au taux légal. L'enjeu sur le nombre de personnes tuées dans un accident avec un conducteur alcoolisé à moins de 0,5 gramme par litre est donc probablement largement supérieur à 120.

Cet enjeu est aussi plus important dans la mesure où cet abaissement aura un effet sur l'ensemble des conducteurs amenés à prendre le volant après avoir bu, rendant caduque le fait de savoir si la dose d'alcool a été dépassée. Il donnera tout son sens au slogan « boire ou conduire, il faut choisir » et aux initiatives du type «  le conducteur qui conduit, c'est celui qui ne boit pas ». Comme le souligne le rapport des experts du CNSR « Faut-il abaisser le taux d'alcool autorisé sur les routes ? - Mars 2004 », des études faites à la suite de l'abaissement du seuil légal dans divers pays ont mesuré un effet positif sur la réduction des accidents due à la baisse induite sur l'ensemble des alcoolémies.

Du coup, celui qui doit conduire ne subira pas la pression sociale sur le fait qu'il ne boit pas parce qu'il conduit, comme c'est le cas dans beaucoup de pays où le taux est inférieur à 0,5 gramme par litre comme la Pologne. Il est facile, lorsqu'on n'a pas encore commencé à boire, de refuser le premier verre, la volonté est intacte. Par contre, il est plus difficile, lorsqu'on a commencé à boire un verre ou deux de refuser les verres suivants car la volonté a déjà été altérée par le premier verre.

L'abaissement du taux légal devrait donc avoir un effet sur  le nombre total des accidents mortels liés à l'alcool soit en 2015 900 personnes tuées dans un accident avec un conducteur alcoolisé (environ 30 % de la mortalité routière). Malheureusement, ce taux se maintient depuis que les Forces de l'Ordre doivent mesurer le taux d'alcool de tous les conducteurs impliqués dans un accident.  Malgré ces éléments, l'abaissement du taux d'alcoolémie légal n'apparaît pas pour beaucoup, être la bonne solution pour réduire l'accidentalité en présence d'alcool.
Plusieurs arguments sont avancés. Le plus étonnant est celui  s'inquiétant du « renforcement des contraintes portées sur 97 % des déplacements des conducteurs conformes au taux actuel de 0,5 gramme par litre pour amener les infractionnistes qui représentent seulement 3% de la circulation à mieux respecter la loi d'autant que l'enjeu est faible et l' efficacité limitée ». La priorité pour les opposants à la baisse du taux légal est d'abord le renforcement du dispositif actuel de contrôle pour aboutir à un meilleur respect de la réglementation.

Plusieurs réponses peuvent être apportées à ces affirmations : Même si l'enjeu ne se limitait qu'à une centaine de personnes tuées (mais nous avons vu que l'enjeu est en fait supérieur), cela justifie que l'on remédie à ce type d'accident. De nombreuses règles contraignantes du code de la route ont été prises pour des enjeux nettement moindres avec une efficacité relative sans pour autant qu'elles soient contestées du point de vue de la sécurité des usagers. On peut citer comme mesure récente la réglementation portant sur les vitres teintées. Le contrôle de certaines de ces règles est difficile, voire impossible. On peut notamment citer le respect des distances de sécurité et sa règle des 2 secondes. Pour autant, il ne vient à personne à l'idée de revenir à l'ancienne règle du code « conseillant » de laisser entre les véhicules un écart correspondant à environ une seconde et quand bien même cette distance reste difficilement contrôlable. En fait, les règles du code de la route sont d'abord édictées pour établir des responsabilités en cas d'accident.

 Une baisse du taux d'alcool à 0,2 gramme par litre aura une efficacité immédiate sur l'accidentalité à l'instar d'autres mesures qui n'ont pas fait l'objet d'un contrôle accru. Pour mémoire, on peut citer l'abaissement de la vitesse autorisée en agglomération à 50 km/h en ville en 1990. Les arguments contre cette mesure à l'époque étaient pourtant les mêmes que ceux avancées contre l'abaissement du taux légal d'alcool. Pour autant, cette mesure s'est traduite par une baisse notable et durable de l'accidentalité en ville mais aussi sur les routes hors agglomération non concernées pourtant par la mesure.

Certes, le taux d'efficacité risque d'être faible (en première estimation de l'ordre de 10%) permettant cependant d'épargner une centaine de vies si la fréquence d'être contrôlé n'augmente pas malgré les 10 millions de contrôles préventifs déjà effectués annuellement. Ce taux pourra être plus important en revoyant les démarches de contrôle prévues dans les plans départementaux  de contrôle routiers. Actuellement, les contrôles dits préventifs (c'est-à-dire dont l'objet est uniquement le contrôle de l'alcoolémie) sont lourds à programmer. Ils sont devenus de plus en plus ciblés (essentiellement à proximité des lieux de vie nocturnes). Des marges de progrès existent pour que les conducteurs aient le sentiment qu'ils risquent de subir un contrôle inopiné à tout moment. Une récente réglementation allant dans ce sens est passée inaperçue l'année dernière. Elle autorise, en plus des opérations spécifiques programmées par la Préfecture et des contrôles à  la suite d'un accident, un contrôle systématique de l'alcoolémie à la suite d'une simple infraction (franchissement d'un feu rouge, non port du casque ou de la ceinture, téléphone tenu en main, ....).  Il reste cependant à prendre des dispositions juridiques et techniques pour rendre cette réglementation vraiment opérationnelle.

Un autre argument avancé pour s'opposer à un abaissement du taux d'alcool légal serait la sévérité de la sanction, argument déjà avancé au sujet des conducteurs novices qui peuvent perdre 6 points simplement après avoir bu une bière. Outre le fait que l'on peut imaginer que le barème de perte de points soit revu et modulé en fonction de l'importance du taux d'alcool (taux contraventionnel et taux délictuel) à l'instar de ce qui se fait pour la vitesse, on peut déjà constater l'efficacité de la perte de 6 points chez les jeunes conducteurs novices lorsqu'a été instauré le permis probatoire en 2004. Il a été constaté depuis que le nombre de jeunes alcoolisés impliqués dans un accident mortel a fortement diminué, le pic entre 19 et 21 ans s'étant nettement estompé (source : la sécurité routière en France - Bilan de l'accidentalité de l'année 2013 page 53). Une étude du BASt (Die Bundesanstalt für Straßenwesen)
intitulé : Alkoholverbot fûr Fahranfanger - Evaluation der Wirksamkeit -Octobre 2010 a regardé l'impact de la loi allemande « Alcool tolérance zéro » du 1er août 2007 qui  comportait principalement comme mesure une baisse du taux d'alcool autorisé à 0,2 gramme par litre pour les conducteurs novices. Cette étude a pu mesurer une baisse du nombre de conducteurs novices impliqués dans un accident de 15% dans les douze mois qui ont suivis la mesure.

L'autre argument  récurrent concerne  la Grande-Bretagne, souvent citée en exemple pour avoir de meilleurs résultats que la France, en particulier concernant l'alcool au volant, alors que le taux légal est de 0,8 gramme par litre, résultat qui serait dû à de meilleurs contrôles. Certes, le rapport du Ministère des transports britanniques (Reported road casualties in Great Britain: Estimates for accidents involving illegal  alcohol levels: 2014 (final) and 2015 (provisional)) rappelle que 240 personnes ont été tuées en 2014 soit 13% de la mortalité routière et donc 9 points de moins que la France pour le même taux d'alcool (à 0,8). Cependant, ce rapport attire l'attention du lecteur sur le fait que ce pourcentage n'est qu'une estimation. Elle ne prendrait en compte que les accidents où le juge estime que l'alcool est bien en cause dans l'accident.  De plus, cette estimation ne comptabiliserait pas la plupart des accidents sans tiers.
Au final, l'alcool au volant reste dans ce pays un facteur majeur de la mortalité routière au même titre que la France. Ce constat a conduit l'Ecosse à baisser le taux autorisé à 0,5 gramme par litre le 5 décembre 2014 malgré le lobbying des fabricants de Whisky et des tenanciers de pubs. L'Irlande du Nord s'apprête à prendre le même chemin début 2018.

En conclusion, il est possible de penser que l'abaissement du taux d'alcool à 0,2 gramme par litre se fera un jour. C'est une mesure inéluctable que l'on peut espérer dans un avenir proche pour peu qu'elle soit portée par les acteurs de la sécurité routière. Le « Zéro tolérance alcool » sera aussi naturel que boucler sa ceinture. C'est déjà le cas dans un certain nombre de pays de l'Union européenne : la Hongrie la République tchèque et la Roumanie (0,0 gramme par litre), la Pologne et la Suède (0,2 gramme par litre).

La question est de savoir à quel horizon la mesure sera prise en France et sur l'ensemble des pays de l'Union Européenne. L'ETSC propose à l'Union Européenne d'adopter une tolérance zéro pour l'alcool au volant en l'accompagnement des mesures suivantes : intensification des contrôles en fixant des objectifs minimaux pour les contrôles d'alcoolémie: par exemple, un conducteur sur 5 devrait être contrôlé chaque année, contrôle systématique à la suite d'une collision, renforcement des sanctions pour lutter contre la récidive et développement des programmes de réhabilitation, organisation de campagnes nationales en sensibilisant la population,  développement de l'utilisation des éthylotest antidémarrage (EAD).

En attendant, l'alcool au volant tue en France entre 2 et 3 personnes chaque jour.

 

 

 

 

 

 


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