Campagnes de communication : sont-elles efficaces ?


Avertissement : Depuis début 2020, la communication de la Sécurité Routière a changé de ton, allant dans le sens des conclusions de cet article rédigé en 2016 et mis à jour en 2017.


Les campagnes de communication constituent une des actions majeures de la Sécurité Routière. Elles s'appuient sur des supports de plus en plus diversifiés. Leur conception est imaginée par des agences spécialisées dans la communication. Ces campagnes représentent un coût non négligeable que pourtant d'aucuns estiment insuffisant, si on le compare à d'autres pays semblant mieux réussir en matière de sécurité routière.

Toutefois, que sait-on de ces campagnes ? Les acteurs de la sécurité routière attendent des campagnes de communication de sécurité routière qu'elles influencent immédiatement sur les comportements des usagers. Pourtant, leurs avis sont très divers sur la question : certains les trouvent insuffisantes et ne touchant pas les bonnes cibles, d'autres les trouvent au contraire trop fréquentes et finalement lassantes. Il existe les tenants des campagnes choquantes et ceux qui trouvent qu'elles rebutent préférant des campagnes davantage pédagogiques.

Les premières grandes campagnes de communication sur la sécurité routière auprès du grand public sont nées à la suite de la création de la Délégation interministérielle à la sécurité routière dans les années 1970, qui se dote de son propre service de communication. Ce dernier cible alors le comportement humain, davantage que l'amélioration de l'infrastructure, comme la cause essentielle du lourd bilan de la mortalité routière.

Le vecteur de ces campagnes de communication institutionnelle était les radios et les chaînes de télévision  publiques.
Cette communication avait essentiellement pour but de faire connaître les nouvelles règles du code de la route portant sur les grandes mesures de l'époque : les limitations de vitesse hors agglomération, le port de la ceinture de sécurité et l'introduction d'un taux d'alcool à ne pas dépasser. Ces obligations touchaient directement les conducteurs et  l'objectif était de les convaincre d'abandonner un peu de leur liberté pour faire baisser la mortalité routière qui atteignait des sommets.

Le service de communication de la Sécurité Routière innove en s'appuyant sur des communicants. Certains slogans de ces campagnes sont restés dans la mémoire collective comme  " la vitesse, c'est dépassé ",  "un petit clic vaut mieux qu'un grand clac"  ou " boire ou conduire, il faut choisir ". De surcroît, la gratuité de la diffusion de ces campagnes permet  à la Sécurité Routière de distiller ces messages tout au long de l'année.

Au cours des années 80, le contenu des campagnes évolue, à défaut de nouvelles mesures importantes touchant les conducteurs.  L'idée est de créer une conscience collective du risque routier et du respect des autres usagers. Le ton de l'humour est alors souvent privilégié avec plus ou moins de bonheur, s'agissant d'un sujet aussi sérieux. Les slogans marquent moins les esprits. Qui se souvient de la devise de la Sécurité Routière " si chacun fait un peu, c'est la vie qui gagne ".

Ce ton est remis en question dans les années 90, tombant parfois dans l'excès inverse. Il devient plus compassionnel, plus dur, plus tragique. S'inspirant de la communication anglo-saxonne, ce registre qui vise à déranger la conscience des automobilistes et à jouer sur la peur, notamment par des scènes d'accident, semble marquer les esprits à tel point qu'il perdure encore actuellement.

La communication des années 2000 cherche à interpeller davantage le conducteur, en faisant, très souvent parler les victimes.  Parfois, l'humour revient comme dans l'affiche incitant au port du gilet jaune rendu obligatoire en 2008. La devise de la Sécurité Routière est devenue « tous responsables » en espérant que la responsabilisation puisse naître à travers une communication essentiellement basée sur l'émotion et l'angoisse de l'accident, ce qui peut sembler contradictoire[i].

Curieusement, peu de chercheurs se sont posé la question de savoir si cette communication « grand public » était efficace à réduire le nombre des accidents. Peut-être parce que cette question ne fait pas vraiment débat bien que ces campagnes ne soient plus gratuites : la « Sécurité routière » dispose d'un contrat d'agence pour toute sa communication pour un budget annuel d'environ 15 millions d'euros (hors achat d'espace).  Elle peut ainsi programmer trois à quatre campagnes « grand public », ce qui est apparu insuffisant dans les années 2 000 d'où l'idée  de publier mensuellement et non plus seulement au moment des grandes migrations, le bilan de l'accidentalité accompagné d'un communiqué de presse. Ce bilan bénéficie jusqu'à présent, pour peu qu'il soit très favorable ou très défavorable, d'une importante reprise médiatique permettant gratuitement d'alerter le public sur  l'insécurité routière.

Il est coutume d'évaluer l'impact d'une campagne à partir de tests dits « post-campagnes »  et de sondages. Force est de reconnaître que les campagnes de la Sécurité Routière, par leur qualité cinématographique, sont vues par des millions de gens et font l'objet régulièrement de récompense. Pour autant,  la notoriété d'une campagne ne renseigne pas sur son efficacité. Certes,  la démarche d'évaluation d'une action de communication n'est pas aisée. Elle se prévoit avant l'action et nécessite des objectifs de communication mesurables[ii].
Un des rares projets européens ayant travaillé sur cette question, le projet CAST[iii], a estimé que les campagnes sur le registre de
l'émotion ont peu d'effets sur le comportement des usagers ou si effet il y a, il  n'est que de très courte durée. De plus, il ne toucherait qu'une partie de la population, déjà convaincue et prudente.  Face à ce constat, on peut penser que l'objectif d'une telle communication est plutôt de rappeler régulièrement à la société et aux décideurs l'enjeu de santé publique que constitue l'insécurité routière et de favoriser l'acceptabilité sociale des mesures à prendre pour y remédier.

Ce registre présente cependant l'inconvénient d'affecter les personnes victimes ou les proches des victimes d'un accident grave de la circulation, subissant une onde de choc traumatique à la vue de certaines images ou bandes-son au cinéma ou à la télévision sans autre forme de préavis. Ce constat a été mis en évidence à la suite de travaux de recherche en neuroscience[iv] menés à la suite des attentats de New York. Ces personnes victimes de la route ou proche des victimes  sont 15 millions selon l'enquête IFOP menée en janvier 2016 pour le compte de la Sécurité Routière dans le cadre de sa campagne d'aileurs appelée « onde de choc ».
Cette campagne visait à sensibiliser l'opinion publique à travers non seulement les victimes mais à ceux qui en ont subi le contrecoup.

Selon le projet CAST, l'objectif d'une communication liée à une politique publique est d'abord d'informer sur les mesures en préparation ou devenues effectives pour faciliter leur acceptation sociale  et leur respect. Il s'agit donc en premier lieu d'avoir une démarche pédagogique : Pourquoi prend-on ces mesures ? A quoi consistent-elles ? Quels effets en attend-on ?

Il est difficile de limiter cette pédagogie sur la crainte d'être victime d'un accident qui, de surcroît, se réduit souvent pour les médias uniquement à la crainte d'être puni. Le registre d'une communication institutionnelle, selon le projet CAST, serait d'abord de faire appel à l'intelligence de chacun et à son souci de comprendre le pourquoi des contraintes qui lui sont imposées pour assurer sa sécurité et celle des autres.

Les stages de sensibilisation à la sécurité routière dits stages de récupération de points démontrent chaque jour que cette approche est bien reçue.  Les stagiaires témoignent qu'ils ont appris des choses et se demandent souvent pourquoi ils n'avaient jamais eu accès à ce type d'information. Dans le même esprit, les opérations de sensibilisation « Comprendre la route, C'est Pas Sorcier » et « Automoto spéciale sécurité » menées en 2010, est parti du constat de la Sécurité Routière » que pour être comprise, la route doit être expliquée. La plupart des Français connaissent les règles du Code de la route, mais pas forcément la réalité des risques que l'on encourt à les transgresser. Soixante-quatre sujets thématiques sont ainsi traités de façon très pédagogique en une minute.

Ce type de communication positive gagnerait probablement à avoir une plus grande visibilité  et à traiter les mesures qui connaissent encore de fortes réticences comme « téléphoner au volant » ou les sujets faisant  l'objet d'une polémique ou d'une désinformation comme ce qui touche aux petits excès de vitesse ou à l'efficacité des radars. Ce registre de communication, s'appuyant sur la connaissance scientifique ne saurait suffire pour changer les comportements au volant mais il est un préalable.

La communication institutionnelle pourrait dans les années poursuivre dans cette voie plus prometteuse, tirant profit de travaux récents sur la communication dite encourageante[v] selon lesquels informer, argumenter et persuader peuvent contribuer à un changement d'attitudes. La communication permet d'agir sur les représentations mais elle ne suffirait pas à changer les comportements individuels et collectifs. La communication encourageante a pour objectif de montrer le côté positif à passer à l'acte, en l'espèce avoir un comportement apaisé sur la route et respectueux des autres usagers. L'idée est de valoriser ce que l'on gagne par un comportement prudent en le mettant en scène, plutôt que de s'attarder sur ce que l'on risque de perdre par un mauvais comportement, les campagnes de prévention ayant souvent le travers de mettre en scène des comportements imprudents, voire dangereux sans rarement mettre en valeur un comportement vertueux. Des recherches[vi] montrent à cet égard le fait que, souvent  les personnes, notamment les jeunes, ne s'identifient pas aux personnages imprudents mises en scène dans les campagnes de prévention.





[i] Raphael Enthoven, Grand témoin - Colloque national sur les risques routiers professionnel - Mars 2017

[ii] L'évaluation de la communication publique, entre norme gestionnaire et légitimité, de enjeux difficilement conciliables ? Dominique Bessières, Communication & organisation (GREC/O) Presse Universitaire de Bordeaux, 2010, p 65-76

[iii] https://www.bri.be/en/roadsafety/cast

[V] Organiser la communication d'action et d'utilité sociétales. Le paradigme de la communication engageante , François Bernard, https://communicationorganisation.revues.org/3374?lang=en

[vi]Peut-on s'identifier aux personnages mis en scène dans les campagnes de prévention? Une
perspective psycho-sociale... Luc Vieira, Bérénice Saïdah, Natalia Rusnac, Morgane Haettel, Patricia Tassi & Florence
Spitzenstetter, Laboratoire de psychologie des cognitions, UNISTRA - Évaluation des politiques de sécurité routière
: nouvelles technologies, enjeux économiques et communication, Paris le 09, novembre 2016














 

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